Mémorial de Montormel

Totalise – tractable : Les canadiens sur la route de Falaise

7 août 1944 – l’infanterie canadienne se prépare à l’assaut © Archives nationales du Canada, PA-129172

Un plan novateur

S’ils souhaitent avancer au devant des Américains qui à cette date approchent du Mans, les Anglo-canadiens doivent rapidement se porter vers le sud. Or, le déplacement des quatre divisions blindées allemandes vers l’ouest, pour participer à l’opération Lüttich, ne laisse plus en terme de troupes d’élite que la 12e SS Hitlerjugend en face du 2e Corps canadien sur la route de Falaise.

Profitant de cet affaiblissement, Montgomery décide de relancer la progression vers Falaise dans le secteur canadien. La planification de l’opération est confiée à Simonds, jeune chef de corps de 40 ans, en qui Montgomery voit un prodige de la stratégie. Effectivement, le plan imaginé par Simonds ne manque pas d’audace et d’aspects novateurs.

Premièrement, la quantité de troupes affectées à cette opération est suffisante pour écraser la défense allemande. Cette dernière ne repose, en plus de la 12e SS sérieusement entamée par deux mois de combats, que sur les 85e et 89e DI. De son côté, le 2e Corps canadien de Simonds (2e et 3e DI, 4e DB canadienne, et 1ère DB polonaise) ont été renforcé par l’incorporation de la 51e DI écossaise. Deuxièmement, deux techniques novatrices doivent surprendre les Allemands. Pour assurer la présence de l’infanterie, qui a toujours fait défaut lors des précédentes opérations, celle-ci est désormais transportée directement au cœur des combats dans des véhicules blindés désarmés, les kangaroos. Et pour assurer la cohérence de l’attaque nocturne, Simonds a imaginé un « clair de lune artificiel » alimené par des projecteurs de DCA, tandis que des rafales de canons automatiques indiqueraient la direction générale de l’attaque.

Le 2e Corps canadien sur la route de Falaise

L’opération est déclenchée dans la nuit du 7 au 8 août. Alors que la 51e DI avançait rapidement vers le Sud, la 2e DI canadienne dépasse tous ses objectifs et prend Rocquencourt, le tout au prix de pertes raisonnables. Dans la matinée, Bretteville-sur-Laize est également occupée : les lignes allemandes sont alors enfoncées, et les deux divisions blindées oivent entrer en piste.

Néanmoins, la situation au midi du 8 août a évolué dans un sens défavorable. La nuit, qui permet de réduire l’avantage des blindés allemands sur les Sherman, s’est estompée, offrant les troupes alliées comme sur un plateau aux observateurs ennemis. Sur le front, la défense faiblissante des divisions d’infanterie allemandes est renforcée par l’arrivée de la Hitlerjugend, jusqu’alors laissée en réserve. 

Troisième raison, l’effort canadien a porté essentiellement sur le flanc droit, à l’ouest de la route Caen – Falaise, négligeant les hauteurs à l’est, sur le flanc gauche des Polonais, où les Allemands ont positionné leurs canons anti-chars. Enfin, le bombardement aérien qui devait précéder l’attaque n’est que très peu réussi, avec des bombes qui se dispersèrent jusqu’à toucher l’arrière des divisions blindées massées pour l’attaque, occasionnant quelques dizaines de pertes.

Aussi, lorsque les chars d’assaut se mettent en marche dans une plaine, ils sont rapidement pris à partie par les canons des chars et des Flak 88 allemands. Cramesnil et Cinteaux sont libérés, mais au prix de combats acharnés qui n’ont rien à voir avec la percée escomptée. Le kampfgruppe Waldmuller, rassemblant ses derniers chars, ne recule qu’en infligeant des pertes dissuasives aux Polonais.

© Jacques Wiacek

Souhaitant retrouver l’initiative après l’après-midi décevante du 8 août, Kitching, commandant la 4e DB canadienne, prépare un assaut nocturne. Pour cela, il forme deux groupes de combat pour une attaque de nuit. La force Halpenny doit attaquer Bretteville-le-Rabet, tandis que la force Worthington vise la cote 195.

Progressant dans l’obscurité, Worthington atteint non pas la cote 195, mais la cote 140, en plein milieu des lignes des Hitlerjugend ! Au matin du 9 août, les Canadiens sont encerclés par les Panther et Tiger, puis bombardés par erreur par leur propre aviation en tentant de se retirer.

Ce n’est que le soir qu’une charge du 1er régiment blindé polonais atteint les survivants Canadiens de la force Worthington et leur permet de revenir dans les lignes alliées… Ils laissent sur la cote 140, 47 chars et 240 hommes, alors même que les Polonais, malgré la réussite de leur charge, doivent se retirer en raison de la tombée de la nuit.

Le 10 août, Simonds relance sa 4e division blindée, maintenant épuisée, sur le bois de Quesnay, qui barre le chemin vers le Laison. Les SS qui en assure la garde accueillent les Canadiens avec un feu nourri, et fauchent vague après vague les Canadiens qui tentent d’approcher.

Rapidement, il est clair que le bois de Quesnay resterait allemand cette fois encore, malgré plus de 150 pertes subies ce jour-là par la 10e brigade canadienne.

Bien que les 1ère division blindée polonaise et 3e division d’infanterie canadienne ont avancé de leur côté au-delà d’Estrées et Soignolles en direction du Laison, Simonds suspend l’opération Totalise, laissant le 2e Corps canadiens à moins de 12 kilomètres de Falaise.  En plus du terrain gagné, les combats de Totalize ont l’occasion de remporter une victoire symbolique : au cours de la journée du 8 août, Michael Wittman, as blindé allemand aux 150 victoires, qui a donné tant de fil à retordre aux Britanniques lors de l’opération Perch sur Villers-Bocage, trouve la mort dans son Tiger au cours d’une contre-attaque manquée.

14 août 1944 – Opération Tractable. © Archives nationales du Canada, PA-11653

Tractable : les Canadiens à Falaise

Malgré le succès très relatif de Totalise, la situation des forces allemandes en Normandie est devenue désespérée. Après avoir pris Laval le 6 août, Patton et sa 3e Armée libèrent Le Mans le 9 août. Pour le haut commandement allié l’opération d’encerclement des armées allemandes de Normandie devient de plus en plus réaliste. Après l’avoir un moment esquissé sur la Seine, Montgomery décide de la réaliser sur un axe Falaise – Argentan. Conformément à ce plan, les Canadiens préparent une nouvelle opération en direction de Falaise, vers le sud, tandis que le 15e Corps américain (80e et 90e DI, 2e DB « Leclerc ») progressent vers le nord, entre Alençon et Argentan.

La nouvelle opération du 2e Corps canadien, Tractable, a pour objectif de libérer Falaise et de rejoindre les Américains. L’attaque, frontale est planifiée à l’Ouest de la route Caen – Falaise, tandis que la 1ère et la 4e DB doivent simultanément tenter de percer à l’est. Elle constitue tout sauf une surprise pour les Allemands, qui a réussi à capturer la veille de la date prévue pour l’assaut une jeep transportant un officier canadien, portant sur lui les plans de l’attaque à venir.

Tractable débute le 14 août par un raid aérien de 800 Lancasters et Halifax du Bomber command de la Royal air force (RAF). Une fois de plus, beaucoup de bombes frappent les divisions polonaises et canadiennes massées pour l’attaque, occasionnant quelque 400 victimes. Les premiers chars démarrent immédiatement après, noyés dans un rideau de fumée artificielle et de poussière. Les défenses allemandes, même concentrées sur les axes précis des attaques alliées, sont maintenant trop faibles pour contenir celles-ci. Aussi, les Canadiens dépassent rapidement le Laison entre Assy et Maizières, tandis que Potigny tombent aux mains des Polonais dans l’après-midi.

Les contre-attaques de quelques Tiger (102. s. SS-PzAbt) arrêtent les Alliés à 6 kilomètres de Falaise en soirée, mais leur avance reprend dès le lendemain : la 4e brigade se rend maître de Soulangy après de durs combats ; les Polonais de la 3e brigade trouvent le bois de Quesnay évacué par ses défenseurs et avancent encore ; la 7e brigade canadienne combat pour Versainville. Après de furieux combats contre les derniers Hitlerjugend, les ruines de la ville tombe aux mains des Canadiens le 17 août.

Auteur des contenus : Jacques Wiacek