Mémorial de Montormel

Un bilan de la Bataille de Normandie

Perspective allemande

Alors que les plans alliés prévoient une progression rapide, la confrontation à la réalité révèle l’optimisme de ces estimations. Ecrasés par toutes les supériorités de leurs adversaires – aviation, artillerie, renseignement, nombre, logistique – les forces armées du IIIe Reich ont résisté 2 mois et 3 semaines, infligeant à leurs adversaires des pertes douloureuses et des échecs cuisants – Omaha, Villers-Bocage, cote 112, Saint-Lô, crête de Verrières, Maczuga – sont autant de noms tragiques.

Pourtant, l’étendue de la défaite allemande, tant du point de vue humain, matériel, que militaire, est impressionnante. Il n’est pas possible d’en prendre la mesure sans observer qu’une semaine après leur sortie de Normandie, les unités alliées sont déjà en Belgique, et par endroits aux portes du Reich.

C’est le bilan des pertes humaines qui semble le plus facile à établir. La Bataille de Normandie est une hémorragie pour l’armée allemande. Les tentatives désespérées pour maintenir le front coûte que coûte se traduisent par des pertes imposantes pour toutes les unités engagées. En même temps, les réserves fondaient à un rythme étourdissant. Les Allemands doivent laisser en Normandie 200 000 tués et disparus, 250 000 prisonniers.

Même si, dans cette phase de la guerre, l’Allemagne recoure déjà à toutes sortes de subterfuges pour essayer de combler ses pertes, les soldats engagés en Normandie sont d’un bon niveau. Par leur expérience, leur motivation et leur esprit de corps, on peut risquer l’hypothèse qu’ils seraient légèrement plus performants au combat que la moyenne de leurs adversaires.

La perte de cette classe de soldats « médiane » est catastrophique pour l’armée allemande. Désormais, ses forces reposent de plus en plus sur une poignée élitiste de Waffen-SS fanatisés, le gros de la troupe étant composé d’une masse improvisée tel le Volkssturm, plus proches de la milice que d’une armée organisée et entrainée.

Les chiffres sont peut-être encore plus marquants si on analyse ces pertes à travers le prisme des hauts gradés. Ont été tués au cours de la Bataille de Normandie les généraux allemands :

  • Falley (91e DI), dans la nuit du 6 juin, dans une rencontre avec les parachutistes américains ;
  • Dawans, chef d’Etat Major du Panzer Gruppe West, le 10 juin au sud de Caen, dans un bombardement aérien ;
  • Marcks (84e Korps, « l’un des plus doués des généraux allemands », dira Eisenhower), le 12 juin, tué dans une attaque de Jabos ;
  • Witt (12e SS-PzD Hitlerjugend), le 14 juin, dans un bombardement naval ;
  • Hellmich (243e DI), en combattant l’offensive américaine en direction de Cherbourg ;
  • Stegmann (77e DI), le 18 juin, en repoussant l’assaut de la 9e DI sur Bricquebec avec sa division ;
  • Dollmann, le 28 juin, d’une crise cardiaque (certaines sources parlent de suicide) ;
  • Tychsen (2e SS-PzD Das Reich), le 28 juillet, mortellement blessé par des chars américains au cours de l’opération Cobra ;
  • Drabich-Wächter (326e DI), le 2 août, par un obus près de Caumont, il meurt le soir même ;
  • Kraiss (352e DI), mortellement blessé dans la région de Domfront le 2 août.

 

Il convient également de citer Von Kluge, qui s’est suicidé en revenant en Allemagne le 18 août.

Pour ce qui est des prisonniers, les Alliés ont capturé Von Schlieben, commandant de la garnison de Cherbourg, le 26 juin. Elfeldt, remplaçant de Marcks à la tête du 84e Korps, s’est rendu aux Polonais le 20 août ; Badinski a été capturé le jour suivant par la 11e DB britannique, également dans la Poche de Falaise-Chambois, de même que Menny (84e DI) recueilli par les Canadiens. Enfin, Eberbach, commandant de la 7e Armée, est capturé le 31 août sur la Somme.

Les généraux blessés sont également nombreux : Von Schweppenburg, dans une attaque aérienne dès le 9 juin ; Rommel, de la même manière, le 17 juillet ; quant à Hausser, Meyer (12e SS), ou encore Schimpf (3e FjD), ils sont grièvement blessés en sortant du chaudron de Falaise à travers les lignes de la 1ère DB polonaise.

De leur côté, les défenseurs alliés, conscients de la précarité de leur situation, ont organisé une défense circulaire de la ville. Ce périmètre associe le 10e dragons et 24e lanciers au nord, et 2/359th IR au sud, et offre l’avantage de pouvoir ravitailler les Polonais en munitions américaines, même si les calibres ne correspondent pas toujours.

L’aventure normande se termine également pour les Allemands par un très lourd bilan matériel. Fin août, la Normandie est semée de carcasses de véhicules et de matériels allemands en tous genres. Au cours des combats, on estime que 1 500 chars, 2 000 canons et 20 000 véhicules ont été détruits. À cela s’ajoutent plusieurs centaines d’avions.

Les estimations laissent en général de côté les véhicules hippomobiles. Or, ceux-ci représentent la grande majorité des moyens de transport utilisés par les unités d’infanterie de la Wehrmacht en Normandie. Privées de leur mobilité, ces unités sont gravement handicapées dans leurs opérations suivantes.

Au niveau de l’ordre de bataille, sur les 43 divisions engagées, 25 sont complètement anéanties. La Panzer Lehr, unité d’élite, doit être dissoute tout comme la 9e Panzer et toute une série d’unités moins importantes mais tout aussi affaiblies par les combats. Rares sont les unités qui parviennent à s’échapper avec plus de 20% de leur effectif initial.

Enfin, la manière dont Hitler mène la Bataille de Normandie a entraîné dès la perte de cette bataille la perte du reste de la France. Désormais, la retraite des Allemands ne semble pouvoir s’arrêter sur aucune position ou ligne de défense efficace. À l’est, la défense naturelle suivante est le Rhin, mais au Nord, les Alliés pénètrent dans une vaste plaine qui court jusqu’aux Pays-Bas. Ses cours d’eau et canaux sont certes en mesure de retarder une division ou un corps d’armée, mais pas d’arrêter l’offensive des deux groupes dont disposent les Allés début septembre.

Perspective alliée

Le plan Overlord mise sur une libération de la Normandie en moins d’un mois ; on en était loin. Il aura fallu trois fois plus de temps pour y parvenir, mais le succès est été plus complet que prévu, puisqu’une fois forcée la porte normande, toute la France tombe  aux mains des Alliés.

Les Alliés perdent dans la bataille plus de 200 000 hommes, dont 37 000 morts. Contrairement aux Allemands qui ne parviennent pas à compléter leurs effectifs et leur équipement, les pertes alliées sont systématiquement remplacées, souvent avantageusement, en tenant compte de l’expérience acquise sur le champ de bataille.

Enfin, ce bilan ne saurait oublier les pertes civiles. Celles-ci sont également effrayantes.

Il y a d’abord la longue litanie des villes bombardées avant le Débarquement puis tout au long des combats. Il y eut aussi celles où les combats se déroulent avec une violence particulière. Les noms de Lisieux, Caen, Le Havre, Saint-Lô, Argentan, Avranches, Tilly-sur-Seulles ou Villers-Bocage rappellent autant de villes martyres. Malgré les tracts largués par l’aviation alliée, la population refusent souvent l’évacuation, préférant rester à proximité de ses biens.

Dans d’autres cas, comme pour la Poche de Falaise-Chambois, la rapidité de l’avancée alliée a enfermé dans un piège mortel les réfugiés provenant de plusieurs régions françaises qui se croyaient à l’abri.

Au final, les civils ont payé un lourd tribut : 20 000 morts, soit davantage que pour les Anglo-canadiens (16 000) et presque autant que les américains (21 000). Les pertes économiques se chiffrent quant à elles en milliards de francs de l’époque, ou encore, pour le Normand moyen, en années de revenu. Le prix de la libération est élevé.

Perspective historique

La Bataille de Normandie est incontestablement une bataille décisive du second conflit mondial. Elle est remportée de haute lutte mais aussi de manière totale par la coalition alliée, composée de plus de 12 nations.

Le génie technique déployé au cours des opérations amphibies et aéroportées, la capacité à projeter à travers une mer – la Manche – la structure et l’organisation logistique adéquates, mais aussi la capacité à coordonner les différentes armes se sont révélés plus importants que la seule supériorité des moyens terrestres de l’ennemi.

À cet égard, Hitler, comme à plusieurs reprises déjà, est le premier fossoyeur de la Wehrmacht, en raison de ses ordres insensés. Il est intéressant de noter que le Führer ne fait pas une seule visite sur le front normand. Son seul déplacement à l’ouest au cours des combats a lieu le 16 juillet, lorsqu’il se rend à Soissons pour une rencontre de quelques heures avec ses généraux ; le soir même, il retourne rapidement en Pologne, dans son quartier général du Wolfschantze, d’où il dirige ses troupes tout au long de la campagne de Normandie.

Finalement, la seule réserve – mais de taille – que soulève l’ouverture de ce second front est sa date – trop tardive. Faute de second front en Europe de l’ouest en 1943, les Anglo-Saxons ne sont pas en mesure de représenter un contrepoids politique face aux appétits grandissants de Staline lors de la conférence de Téhéran. En conséquence, ils doivent concéder l’Europe de l’Est à ses ambitions illimitées.

La première victime est la Yougoslavie, cédée à Tito à l’issue d’une habile campagne de désinformation menée contre la résistance légitimiste. En 1944, c’est le tour de la Pologne : alors que la Bataille de Normandie bat son plein, la capitale polonaise s’insurge le 1er août à l’approche des troupes soviétiques. Pendant que Varsovie combat, 5 capitales européennes retrouvent la liberté. Pendant 2 mois, les Polonais résistent contre les unités d’élite de l’armée allemande. Mais Varsovie, première à s’être soulevée contre la tyrannie nazie en 1939, et avec la bénédiction des démocrates anglo-saxons, est abandonnée à son sort entre les mains du Kremlin.

Le retard des Alliés à allumer le feu sur le continent, malgré la victoire, la liesse populaire et la libération de l’été 1944, porte en lui les germes de la guerre froide.

Auteur des contenus : Jacques Wiacek