Mémorial de Montormel

20 Août 1944 : La contre-attaque du 2ème SS-PZKORPS

Fantassins des argyll & sutherland Highlanders progressant dans saint Lambert sous la protection d’un char du South Alberta. © Public Archive of Canada

La jonction des américains et des Polonais à Chambois place les Allemands dans une position désespérée. Même si la Poche n’est pas fermement scellée faute d’une continuité du front entre les différentes unités alliées, son goulot s’est rétréci à une largeur de 5 km entre le pont de Saint-Lambert et le gué de Moissy, plaçant les Allemands sous le tir continu de l’artillerie et les bombardements de l’aviation alliée. Or, la très forte concentration d’hommes et de matériel offre des cibles idéales aux artilleurs, pilotes et bombardiers alliés.

Malgré cette situation défavorable, les tentatives allemandes pour sortir de la poche continuent. Pendant la nuit du 19 au 20 août, par groupes compacts, toutes sortes de troupes montrant toute l’étendue du parc mécanique et hippomobile de la Wehrmacht, souvent à plusieurs de front, montent vers les positions polonaises, où elles se heurtent à un feu nourri.

Avec la fin de la nuit, plusieurs attaques lancées par des unités mieux organisées ont débouché sur les positions polonaises, essayant de venir à bout des défenseurs de la cote 262. Bien que brutalement repoussées, elles marquent l’introduction à cette sanglante journée.

Moissy et Saint-Lambert

Le premier obstacle posé en travers des Allemands essayant de quitter la poche sont les Canadiens à l’entrée de Saint-Lambert. Du clocher de l’église, le général Von Luttwitz et son état-major tentent de donner un semblant d’organisation à la traversée des diverses unités, tandis que les blessés s’entassent dans la nef, convertie en hôpital. Peu avant l’aube, les 2 000 survivants du 2e Falschirmjäger Korps, commandés par Meindl, réussissent à contourner les avant-postes canadiens et à glisser vers Coudehard. À leur suite, une série d’attaques, mal coordonnées et sans appui d’artillerie, échoue à déloger les Canadiens de la cote 117, mais réussit à entrouvrir le passage vers les côteaux de Coudehard.

Vers midi, la 10e SS-PzD et la 116e PzD, suivies par les restes de la 12e SS, parviennent à leur tour à passer la Dives en bousculant de nouveau le groupement Currie qui s’est rapproché du pont. Renforcés par l’arrivée d’un escadron du South Alberta, les Canadiens lancent un nouvel assaut vers les ponts dans la soirée. Une fois de plus, ils sont repoussés, plusieurs milliers d’Allemands profitant de cet ultime sursis pour s’échapper.

À Moissy, les Allemands bénéficient d’un gué qui, à l’image du pont de Saint-Lambert, devint graduellement engorgé par les milliers de chariots, voitures, chars, canons d’assaut, camions… Passé ce gué, les Allemands doivent s’engager sur une voie étroite et poussiéreuse montant lentement vers Coudehard, immédiatement en contrebas de la cote 262. Ce chemin, bombardé et mitraillé en permanence, devient rapidement encombré à son tour par les épaves d’équipements allemands, les fossés qui le bordent recueillant chevaux blessés et soldats agonisants, et offrant un spectacle si tragique qu’il est bientôt appelé « Couloir de la mort ».

Les contre-attaques incessantes lancées par les troupes allemandes contre Chambois empêchent Américains et Polonais d’approcher le gué. Aussi, plusieurs unités organisées formant le 47e Panzer Korps (Von Funck), parviennent à traverser la Dives avec les débris d’autres formations et à s’engager dans le Couloir de la mort. Pour autant, une fois sur la route menant à la cote 262, le danger reste présent : installé sur la cote 113 surplombant les alentours, le 10e PSK veille au grain, lançant plusieurs reconnaissances en force vers le Couloir de la mort. En essayant de réitérer la sortie de Von Funck, les survivants du 84e Corps menés par le général Elfeld se font capturer à cet endroit, non sans avoir épuisé leurs dernières cartouches.

Chambois

Les unités américaines et polonaises entrant dans Chambois au soir du 19 août ont trouvé le village faiblement défendu. Les escarmouches se prolongent néanmoins au cours de la nuit en éclatant sporadiquement : certaines unités allemandes n’ayant pas eu connaissance de la jonction qui venait d’avoir lieu entre Polonais et Américains entrent dans la ville en cherchant à profiter du pont.

De leur côté, les défenseurs alliés, conscients de la précarité de leur situation, ont organisé une défense circulaire de la ville. Ce périmètre associait le 10e dragons et 24e lanciers au nord, et 2/359th IR au sud, et offre l’avantage de pouvoir ravitailler les Polonais en munitions américaines, même si les calibres ne correspondent pas toujours.

Les attaques allemandes reprennent le 20 août au matin, de manière plus systématique : leur objectif est de s’emparer de la ville afin de capturer un pont supplémentaire sur la Dives. Si l’accomplissement de cette tâche doit se révéler impossible, ces attaques doivent a minima maintenir les Alliés loin du gué de Moissy.

L’offensive allemande, organisée en plusieurs assauts successifs, est bien près de réussir lorsqu’à un moment, les Allemands réussissent à percer les lignes américaines et à pénétrer dans le périmètre défensif, avant d’être chassés par une vigoureuse action des chars du 24e lanciers.

Plus tard, c’est au tour du 10e régiment de dragons d’être mis en danger par une attaque mieux organisée, soutenue par des tirs d’artillerie et au moins un char Panther. Cette attaque échoue également lorsque les dragons réussissent à détruire le blindé allemand.

Progressivement, à mesure que la journée avance, les attaques deviennent de moins en moins organisées, impliquant des unités moins motivées. La plupart des troupes allemandes cherchent désormais plutôt à s’échapper en évitant la ville que d’essayer de venir à bout des défenses alliées ; d’autres formations choisissent de se rendre plutôt que de continuer un combat qui semble perdu d’avance. Ces prisonniers sont rassemblés jusqu’à remplir complètement le marché, où ils sont exposés au feu des deux antagonistes.

© Stéphane Jonot

Maczuga

Positionnés entre les troupes allemandes en retraite et la sortie du chaudron de Falaise, les soldats de Maczek se retranchent du mieux qu’ils purent afin de faire face aux coups qui ne manquent pas de leur être portés – au sud-ouest, le bataillon de chasseurs de Podhale ; au sud, le 9e bataillon de chasseurs ; au nord-est, le 8e bataillon de chasseurs.

Légèrement en retrait de ces positions, le 1er régiment blindé couvre les approches méridionales, tandis que le 2e régiment blindé, à l’opposé, tient le nord. Maczuga se prépare t à devenir le lieu du choc le plus violent de toute la Poche de Falaise-Chambois.

Les assauts allemands commencent peu avant l’aube. À proximité de l’église de Coudehard, quelques compagnies de Podhale qui disposent à cet instant de peu de munitions doivent repousser une attaque des plus agressives avec leurs baïonnettes. Vers 8h, le 2e SS-PzKorps commence à réaliser le plan soigneusement élaboré par Model, qui vise à submerger les positions polonaises en les prenant à revers :

  • La 2e SS-PzD Das Reich, régiment Der Führer en tête, soutenue par des mortiers lourds, vise le saillant occidental des positions polonaises établies près du manoir de Boisjos ;
  • En parallèle, une attaque de diversion de la même division se tourne vers l’est, vers le col étroit qui sépare les sommets nord et sud du plateau 262 ;
  • De son côté, la 9e SS-PzD Hohenstauffen protége le flanc droit de l’attaque allemande en bloquant les unités avancées de la 4e division blindée canadienne sur la cote 240.

Près de Boisjos, l’attaque du régiment Der Fuhrer est repoussée en une heure par le feu nourri fourni par les bataillons de chasseurs et l’artillerie divisionnaire mais accentue la pénurie de munitions qui affectait alors de manière croissante les Polonais. Peu après, un char Panther, soigneusement embusqué sur la colline 239, prend à revers les Sherman polonais qui couvrent le flanc sud-ouest du dispositif : en moins de deux minutes, pas moins de cinq Shermans se consument dans le large pré qui surplombe le manoir de Boisjos.

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4 Sherman polonais détruits sur le plateau de Boijos lors de la contre attaque allemande. © Coll. Dufresne

Alors même que l’attaque des parachutistes faiblisse, la 2e SS-PzD reprend son assaut. Cette fois, les Polonais concentrés sur la défense de leur flanc sud sont débordés et l’infanterie SS parviennent à les bousculer, ouvrant la voie aux parachutistes : vers midi, la jonction est établie, ouvrant la poche et permettant aux unités emprisonnées de se retirer en direction de Vimoutiers. Peu après, la 9e SS-PzD parvient à repousser une fois de plus les timides tentatives lancées par les Canadiens contre la cote 240, aggravant encore la position des Polonais.

Sur le flanc est de Maczuga, l’assaut secondaire de la 2e SS-PzD est initialement moins prometteur face à la défense résolue du 8e bataillon de chasseurs. Cependant, en raison du faible engagement de la 2e DB française sur la cote 262 sud, la 353DI allemande parvient à avancer au devant de la 2SS-PzD, ouvrant ainsi une deuxième brèche. En début d’après-midi, les Allemands disposent ainsi de deux routes pour s’extraire de la poche, permettant à des dizaines de milliers d’entre eux de s’échapper.

Bien que sérieusement bousculés par les attaques coordonnées des SS et des parachutistes, les Polonais demeurent maîtres de la colline. Malgré les pertes et la situation en munition de plus en plus critique, ils continuent à harceler l’ennemi en retraite en dirigeant sur lui des tirs d’artillerie précis qui frappent immanquablement tout mouvement de troupes important. Pour y mettre fin, Hauser, commandant du 2e SS-PzKorps, ordonna à ses troupes d’anéantir toute défense sur la cote 262.

En conséquence, une attaque massive associant la Das Reich de l’extérieur, et la 353e DI associée à d’autres unités non identifiées de l’intérieur de la poche, appuyée par plusieurs chars, s’abatte sur le flanc oriental dans l’après-midi. Sous le choc, les lignes des chasseurs ploient, permettant aux Allemands de s’engouffrer entre le 8e et le 9e bataillons, puis de s’infiltrer entre les escadrons de chars. Les combats deviennent si âpres que les Shermans tirent souvent dans des directions opposées, mitrailleuse de coque à l’opposé du canon de tourelle, car les Allemands attaquent de partout. Ce n’est qu’à une centaine de mètres de Boisjos que les Mark IV allemands menant l’assaut sont détruits à bout portant par un canon anti-char du 8e bataillon.

La destruction de ces chars donne le signal de la contre-attaque polonaise. Bien qu’handicapés par le niveau maintenant critique de leurs munitions, les chasseurs réussissent à rejeter l’ennemi sur ses positions de départ, forçant la 353e DI à évacuer les approches est de la cote 262, et rendant hasardeuse toute sortie par la route du col de Montormel.

À 19 heures, une trêve de 20 mn permet aux Allemands d’évacuer un long convoi de véhicules marqués de la croix rouge, puis les combats reprennent immédiatement après avec une violence redoublée. Néanmoins, la situation s’est stabilisée : les Allemands ne sont pas parvenus à déloger les Polonais, tandis que ces derniers, faute de ravitaillement, regardent avec rage le 47e PzKorps quitter la poche à la suite du 2FjKorps, à peine à cinquante mètres de leurs positions. L’artillerie joue maintenant un rôle prépondérant, les Polonais dirigeant son feu sur chaque mouvement ennemi qu’ils pouvaient repérer.

Au crépuscule, en dépit d’une baisse sensible dans l’intensité des combats, la situation parmi les défenseurs polonais de Maczuga est désespérée. Les mots de Stefanowicz, commandant du groupe polonais blessé au cours de cette journée, prononcés à ses officiers dans la soirée, en donnent un aperçu : « Messieurs. Tout est perdu. Je ne crois pas que les Canadiens parviendront à nous aider. Nous avons seulement 110 hommes encore valides, avec 50 cartouches par arme et 5 obus par char… Mais combattez jusqu’au bout ! Se rendre aux SS est inutile, vous le savez bien. Bonne chance – ce soir, nous mourrons pour la Pologne et pour la civilisation. Nous combattrons jusqu’au dernier peloton, puis ce sera chaque char pour soi, puis chaque homme pour soi ».

Auteur des contenus : Jacques Wiacek